
La semaine prochaine, Genève accueillera des délégations venues des quatre coins du globe pour ce qui est présenté comme l’ultime cycle de négociations sur un « Traité juridiquement contraignant sur les plastiques ».
Ne nous laissons pas abuser par une rhétorique trop ambitieuse. Chaque délégation arrive munie non pas de solutions pour notre avenir commun, mais de tableaux de bord d’intérêts nationaux, de lignes rouges et d’accords officieux. Le bloc bien rôdé composé de l’Arabie saoudite et d’autres États pétroliers se prépare déjà à diluer les plafonds relatifs à la production de plastique vierge ; les grandes économies exportatrices recherchent des dérogations afin de maintenir des flux commerciaux sans entraves ; les pays consommateurs s’efforcent de transférer la responsabilité aux producteurs — et tous cherchent des alliés sûrs derrière lesquels se retrancher, tout en isolant les partenaires qu’ils apprécient moins.
En principe, le Secrétariat des Nations Unies devrait canaliser cette cacophonie vers un texte cohérent et tourné vers l’avenir. Or, selon des sources internes, le processus semble en dérive : aucun plan pour réduire les centaines d’options entre crochets, aucune vision pour exploiter les quelques zones de consensus, et aucune stratégie pour susciter une dynamique autour de mesures susceptibles de réduire réellement la pollution. Il en résulte une diplomatie de déjà-vu — un multilatéralisme par attrition — où l’ordre administratif tient lieu de progrès, et où le trophée final risque d’être un traité au plus petit dénominateur commun, permettant à chaque capitale de clamer la victoire tandis que la marée plastique continue de monter.
Nous proposons ci-après une analyse détaillée du projet de texte d’instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique.
Le projet actuellement sur la table met à nu ces défaillances systémiques : il est tentaculaire, vague et truffé de clauses d’exemption. Il risque de devenir la dernière pièce du musée grandissant des Nations Unies consacré aux accords sous-dimensionnés. Ce qui suit est une analyse de ce texte, des échappatoires qu’il consacre et des choix difficiles auxquels les négociateurs devront se confronter s’ils veulent éviter un énième pacte spectaculaire, mais dépourvu de véritable portée.
Compilation du projet de texte de l’instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans le milieu marin
Le projet de texte accessible au public entend lutter contre les déchets plastiques au moyen d’un ensemble de réglementations, d’engagements et de coopérations internationales. Il couvre un large éventail de questions : production de plastique, composition chimique, gestion des déchets, commerce, étiquetage et plans nationaux de mise en œuvre. À ce stade, le document est fortement entrecrochété, signe de désaccords persistants et de questions non résolues entre négociateurs.
Structuré en plusieurs parties, il comporte notamment des sections consacrées à la conception des produits, à la responsabilité élargie des producteurs, à la réglementation des produits chimiques et polymères, et au mouvement transfrontière des déchets plastiques. S’il aspire à être juridiquement contraignant, son efficacité est sapée par des engagements vagues, une marge d’appréciation nationale étendue et des chevauchements avec des cadres existants tels que la Convention de Bâle.
Forces et potentiel du traité
- Reconnaissance du cycle de vie complet des plastiques : Le traité tente d’adopter une approche couvrant la production, la consommation, l’élimination et le recyclage. Bien structurée, cette approche pourrait favoriser une économie mondiale plus durable pour les plastiques.
- Intégration d’un étiquetage harmonisé : Le projet propose un système normalisé d’étiquetage des plastiques susceptible d’améliorer la traçabilité, la sensibilisation des consommateurs et l’efficacité du tri. Son insertion dans la section sur les mouvements transfrontières pourrait toutefois en limiter la portée.
- Renforcement potentiel de la gouvernance mondiale : Le texte ambitionne de mettre en place des mécanismes de coopération et de coordination internationaux qui, assortis d’obligations claires, pourraient unifier la réponse mondiale à la pollution plastique.
Principales faiblesses relevées
- Entre-crochets excessifs et manque de clarté – La profusion de crochets complique l’identification d’obligations concrètes et fait douter de la possibilité d’un consensus significatif dans le délai imparti (INC-5.2).
- Confusion des objectifs prioritaires – Le but principal demeure flou : réduction de la production ? produits chimiques dangereux ? recyclabilité ? Cette indétermination affaiblit la cohérence globale.
- Plans nationaux de mise en œuvre incertains – Même sur des dispositions mineures, l’accord sur la structure ou le caractère obligatoire des plans nationaux reste limité.
- Dépendance excessive aux réglementations nationales – Les formulations telles que « exigences nationales » ou « capacités nationales » laissent une latitude qui risque de vider le traité de sa substance.
- Recoupements entre plastiques et produits chimiques – Plusieurs clauses empiètent sur la Convention de Stockholm et la Convention de Rotterdam, sans définir clairement la valeur ajoutée du traité.
- Focalisation disproportionnée sur le commerce et les mouvements transfrontaliers : Bien que le commerce des plastiques et des déchets plastiques constitue un volet important, le traité consacre une attention considérable aux procédures liées au commerce, souvent au détriment d’engagements plus directs en matière de réduction des plastiques et de gestion des déchets. Il en résulte un risque de transformer le traité en un instrument axé sur les processus réglementaires plutôt que sur la lutte effective contre la pollution.
- Surexposition de l’économie circulaire sans objectifs précis : Le projet fait référence à plusieurs reprises aux principes de l’économie circulaire, tels que le recyclage et la réutilisation, mais il ne fixe aucun objectif quantifié de réduction de la production de plastique vierge. Faute de cibles contraignantes, cette insistance sur la circularité risque de demeurer largement déclarative plutôt que de devenir une stratégie véritablement transformative.
- Ambiguïté dans la mise en œuvre : Le traité énonce des objectifs généraux tels que « améliorer la recyclabilité » et « réduire la pollution plastique », sans définir de voies claires pour les atteindre. En l’absence de mécanismes structurés, ces engagements risquent de rester purement aspiratoires.
Le traité : document stratégique plutôt que cadre juridique
Comparé à d’autres accords juridiquement contraignants, tels que le Protocole de Montréal, la Convention de Bâle ou la CCNUCC, ce projet ressemble souvent davantage à un document stratégique ou d’orientation qu’à un cadre véritablement exécutoire, et ce pour plusieurs raisons. Contrairement au Protocole de Montréal, qui fixe des objectifs stricts d’élimination progressive des substances appauvrissant la couche d’ozone, le présent projet de traité ne comporte pas d’obligations concrètes — par exemple, la réduction de la production de plastiques ou l’interdiction d’additifs dangereux. La plupart des engagements sont laissés à l’appréciation nationale, affaiblissant considérablement la portée potentielle du texte. Les volets consacrés à l’éducation, au renforcement des capacités et à l’assistance financière s’apparentent davantage à des dispositifs non contraignants destinés à soutenir des actions volontaires qu’à imposer des obligations. Bien que ces éléments soient utiles, ils devraient compléter — et non remplacer — des engagements réglementaires solides.
À l’inverse, la Convention de Bâle impose des obligations claires en matière de mouvements transfrontières de déchets et se dote d’un mécanisme de conformité. Le présent projet introduit cependant des dispositions potentiellement redondantes, proches de celles de la Convention de Bâle, au lieu de se concentrer sur les lacunes de la gouvernance mondiale des plastiques. De même, la CCNUCC dispose d’un cadre structuré reposant sur des rapports et des contributions nationales. Le projet actuel ne prévoit pas de mécanisme d’application comparable, ce qui en fait davantage une feuille de route politique qu’un traité doté de véritables moyens coercitifs.
Contre-argument : une évolution possible à la manière de la CCNUCC ?
On pourrait soutenir que, dans ses premières années, la CCNUCC constituait elle aussi un cadre général qui a ensuite évolué vers des engagements plus solides avec l’Accord de Paris. Toutefois, la CCNUCC prévoyait des contributions déterminées au niveau national (CDN) ouvrant la voie à un renforcement progressif de l’ambition. Le présent traité ne dispose pas d’un mécanisme équivalent pour faire monter l’ambition au fil du temps.
Chevauchements et redondances avec la Convention de Bâle
- Mouvement transfrontière des déchets plastiques : L’un des principaux points de discorde réside dans l’insertion de dispositions relatives aux mouvements transfrontières de déchets, alors que des amendements à la Convention de Bâle régissent déjà ce domaine. Certaines options du projet prévoient une procédure de consentement préalable en connaissance de cause analogue à celle de Bâle, ce qui soulève la question de la duplication inutile des cadres existants.
- Rôle mal défini de l’étiquetage harmonisé : Bien qu’un système d’étiquetage standardisé des plastiques puisse améliorer le suivi et la gestion des déchets, son inscription dans les dispositions relatives au commerce transfrontière risque d’entrer en conflit avec les mécanismes de Bâle. Une intégration plus stratégique s’avère nécessaire.
Dernière chance pour sauver le traité
L’enthousiasme initial ne s’est pas traduit par un effort unifié contre la pollution plastique. Les divergences de priorités, les multiples crochets et la primauté accordée à la discrétion nationale témoignent d’une volonté politique insuffisante pour édicter des obligations juridiquement fortes.
Le traité pourrait certes renforcer la gouvernance mondiale, mais, en l’état, il risque de se transformer en simple cadre bureaucratique dépourvu de portée transformative. Les négociations à venir doivent impérativement lever les ambiguïtés, éviter les duplications et garantir que le texte devienne une véritable valeur ajoutée pour la gouvernance environnementale mondiale — plutôt qu’un accord redondant ou inefficace.
Mot de la fin
La pollution plastique trouble déjà l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et jusqu’au sang des nouveau-nés. À Genève, les négociateurs ont le choix : rédiger la paperasse qui servira aux futures actions en justice intentées contre notre inaction collective, ou faire preuve de courage en adoptant des règles capables de rendre ces procès inutiles. Le dilemme est clair — et l’histoire retiendra leur décision.